Au moins 12 agressions homophobes, en quelques mois, sur les aires d'autoroute valaisannes
Les agressions à caractère homophobe sur les aires d'autoroute valaisannes prennent une tout autre dimension. En moins de deux ans, une douzaine de personnes a été agressée par deux mêmes auteurs présumés. Nos révélations.

Rhône FM vous révélait l'affaire en janvier 2023. Plusieurs agressions, à caractère homophobe, avaient été recensées sur l'aire de repos d'Ardon Nord. À l'époque, trois cas avaient été rapportés à la Police cantonale. Aujourd'hui, selon la communication de fin d'enquête aux parties, dont Rhône FM s'est procuré une copie, on apprend qu'au moins douze personnes ont été agressées entre septembre 2022 et mai 2024. Seuls deux individus se sont constitués partie plaignante. Mais, comme les infractions de discrimination et incitation à la haine sont poursuivies d'office, les auteurs doivent répondre de l'ensemble de leurs actes. Ils bénéficient à ce stade de la présomption d'innocence.
Le document du Ministère public nous apprend que les deux auteurs présumés, âgés de 23 et 21 ans, ont régulièrement fréquenté les aires de repos de l'autoroute A9, principalement à Ardon, pour importuner, injurier et frapper des personnes en raison de leur orientation sexuelle, soit des personnes homosexuelles ou travesties, qui s'y retrouvaient pour y entretenir des relations sexuelles consenties.
Un mode opératoire pervers et narcissique
Pour réaliser leurs méfaits, les deux prévenus se cachaient sur l'aire de repos, attendaient des personnes seules ou en couple, avant de les surprendre, de s'en prendre à elles et se moquer d'elles. Ils ont même publié plusieurs annonces sur internet, se faisant eux-mêmes passer pour des personnes homosexuelles en recherche de relations intimes. Ils donnaient alors rendez-vous à leur proie sur l'aire de repos dans le but de l'agresser.
À plusieurs reprises, en octobre 2022, en décembre de la même année, et en mars 2023, ils ont tenté d'extorquer de l'argent à leurs victimes, en échange de l'abandon de toute poursuite pénale pour des prétendus attouchements qu'ils avaient volontairement provoqués en se faisant passer pour des personnes homosexuelles intéressées. Dans l'une des affaires, les deux prévenus exigent 15'000 francs à la victime, en échange du retrait de la plainte pénale, aboutissant ainsi au classement de la procédure. Ils lui soutireront finalement 7'000 francs. Pour ces faits, ils doivent répondre d'extorsion et de chantage.
Les deux jeunes adultes sont aussi poursuivis pour usurpation d'identité. Dans certaines affaires, les auteurs présumés n'ont pas hésité à se faire passer pour des agents de la Police cantonale. En mars 2023, les deux prévenus font une clé de bras à l'une des victimes, la mettent au sol, à plat ventre, les mains dans le dos avec un pied sur la nuque. Ils s'annoncent alors comme des policiers et menacent les victimes de poursuites pénales pour des prétendus viols ou attouchements.
Des menaces jusqu'au domicile familial des victimes
Dans une autre affaire, ils s'en prennent à deux personnes homosexuelles, enfermées dans une cabine de toilette de l'aire de repos d'Ardon. Ils installent une machine permettant d'enfumer le local dans le seul but de les importuner.
Dans un autre épisode, en février 2023, ils agressent, toujours à Ardon, un individu. Ils lui dérobent la clé de son véhicule. Après quelques recherches sur internet grâce au relevé de la plaque d'immatriculation, ils retrouvent le domicile de la victime. À plusieurs reprises, ils se rendent devant chez lui pour l'intimider, en déverrouillant son véhicule à distance au moyen de la clé dérobée. En mars 2023, ils font exploser un engin pyrotechnique au-dessus du domicile du lésé. Les deux prévenus tentent même de contacter la famille de la victime, en particulier sa femme et son fils, afin de les informer de l'orientation sexuelle de leur proche.
Le rapport du Ministère public met en lumière l'absence de la grande majorité des parties plaignantes dans ces affaires. Seuls deux individus ont porté plainte. Plusieurs victimes ont renoncé à se constituer partie plaignante, par peur de voir leur orientation sexuelle dévoilée. Dans d'autres cas, les victimes n'ont même pas pu être identifiées par les enquêteurs. On retrouve une trace de leur agression sur des enregistrements découverts sur les téléphones portables des auteurs présumés. Les deux jeunes filmaient leurs méfaits.
Un nombre d'infractions long comme le bras
Rhône FM s'en faisait l'écho en avril 2024 : l'un des policiers en charge de l'enquête a subi menaces et intimidations de la part des auteurs présumés. Aujourd'hui, avec le rapport du parquet, on en apprend davantage sur l'ampleur des faits. Durant 15 mois, entre fin janvier 2023 et début mai 2024, les deux prévenus ont surveillé et harcelé régulièrement un agent de la Police cantonale. Ils l'ont notamment suivi jusqu'à sa salle de sport, devant son lieu de travail, devant son domicile ou encore jusqu'au magasin où il avait ses habitudes. À l'apogée de leurs actes, les deux prévenus ont souillé l'allée du garage du policier avec de la farine et placé deux bougies funéraires à côté de son véhicule privé. Ils ont aussi allumé en pleine nuit un gros pétard de 30 centimètres de long devant son domicile. Sur un groupe Télégram public, ils ont également publié de nombreux commentaires au sujet du policier, dévoilant l'adresse de son domicile. "On bute *** ce soir", pouvait-on lire sur ce canal Télégram. L'agent a porté plainte. Les deux prévenus sont poursuivis pour menaces, contrainte et dommages la propriété.

Les deux auteurs présumés sont aussi accusés de plusieurs autres délits, en lien ou non avec les affaires d'agressions sur les aires de repos. Le Ministère public compte les renvoyer pour violation grave des règles de la circulation routière, pour des vols d'importance mineure et pour de multiples dommages à la propriété, notamment sur les véhicules de leurs victimes. Plusieurs dommages ont aussi été commis sur les aires de repos, dans les toilettes publiques. L’État du Valais, par son Service de l'entretien de l'autoroute, s'est constitué partie plaignante.
Au final, les deux prévenus sont mis en accusation pour voies de fait, vol, brigandage, dommages à la propriété, extorsion et chantage, injure, enregistrement non autorisé de conversations, menaces, contrainte, discrimination et incitation à la haine, usurpation de fonction et violation grave de la Loi fédérale sur la circulation routière. L'enquête est à bout touchant. Le document "communication de fin d'enquête aux parties" l'atteste. Les deux prévenus devraient être prochainement renvoyés devant un tribunal.
Queer Valais s'indigne
Face à l'ampleur des agressions à caractère homophobe, nous avons sollicité Queer Valais pour une réaction. L'association défend la communauté LGBTiQ+ en Valais. Son co-président, Gaé Colussi, a accepté de répondre à nos questions.
Gaé Colussi, quelle est votre réaction face à cette affaire ?
Ce qui est marquant à la lecture du dossier, c'est évidemment l'ampleur, le nombre d'agressions, l'intentionnalité des auteurs. Là, on ne parle pas d'une agression par hasard, un soir éméché. On a vraiment une recherche active de personnes à agresser.
L'autre fait marquant, c'est la peur des victimes. Il y a peu de victimes, même celles identifiées, qui ont osé se constituer partie plaignante, qui ont osé entrer dans ce processus judiciaire. Ça dit la permanence du tabou, le risque de se faire "outer," mais aussi le risque d'être connu comme une personne ayant des pratiques sexuelles avec des hommes, ou fréquentant ces aires de repos.
La peur de porter plainte, c'est le risque de devoir porter seul une agression.
Si on ne veut pas aller à la police, il y a d'autres institutions, comme la LAVI, qui sont présentes pour écouter ces témoignages, les recueillir dans un cadre bienveillant, accompagner, et protéger les personnes victimes pour qu'elles ne restent pas seules avec ça. On ne sait pas dans cette affaire, est-ce que les victimes ont trouvé de l'aide ? Est-ce qu'elles ont pu en parler autour d'elles ? Est-ce qu'elles ont dû trouver des excuses bizarres pour expliquer pourquoi elles s'étaient fait tabasser ? Et ça, c'est un des points d'ombre du dossier qui n'est pas très rassurant.
Comment se protéger de ces agressions ?
Ces agressions vont être vécues très différemment, si c'est une personne qui est à l'aise avec son homosexualité ou ses pratiques sexuelles sur des aires de repos, ou une personne qui les cache. Je recommande de prendre des précautions quand on a ce genre de rencontres plus ou moins anonymes. On peut prévenir quelqu'un, de fixer, en tout cas, une deadline, où on donne des nouvelles.
Vous dites qu'il faut avertir un proche, mais certaines personnes ne veulent pas révéler leur homosexualité ou leur pratique sur des aires de repos. Difficile d'avertir un proche dans ces cas-là.
Oui, c'est bien l'enjeu du tabou et l'enjeu de l'absence de coming-out de certaines personnes. Après, les personnes peuvent mettre en place des réseaux de solidarité avec d'autres personnes rencontrées sur ces aires d'autoroute. On peut aussi s'organiser entre personnes fréquentant les mêmes lieux pour dire : "tiens, la prochaine fois que je viens, est-ce que je peux t'envoyer un message au cas où, peut-être que t'es par là, peut-être pas, mais comme ça, tu le sais".
Est-ce que vous avez l'impression que la parole des personnes LGBTIQ+ est bien accueillie dans ce genre d'affaire ?
La police s'empare, progressivement, des questions d'homophobie et aussi des questions de l'accueil bienveillant des personnes LGBTIQ+. Il y a des formations qui sont données, progressivement. Il y a des résistances aussi, mais, on sent qu'en tout cas, il y a une volonté de la part de la hiérarchie policière de faire bien et de faire mieux.
C'est une des premières fois, probablement la deuxième fois, en Valais, qu'on a vraiment retenu, l'incitation et la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle, comme la cause des agressions. On l'a vu : certaines personnes ne se sont pas portées partie plaignante dans ce dossier. Le fait que l'incitation et la discrimination soient poursuivies d'office permet de pouvoir poursuivre les auteurs, même lorsque des personnes ne se portent pas partie plaignante.