Abbaye de Saint-Maurice : un rapport accablant sur les abus sexuels rendu public
Après la révélation des abus sexuels commis au sein de l'Abbaye de Saint-Maurice, l'institution religieuse avait mandaté Pierre Aubert pour enquêter sur elle. Le rapport a été publié ce vendredi, lors d'une conférence de presse à Fribourg.

Le Groupe de travail chargé d'enquêter sur les abus sexuels commis au sein de l'Abbaye de Saint-Maurice a rendu son travail. Après une année d'examens des archives et l'audition d'une cinquantaine de témoins et celle de 24 ecclésiastiques, il a présenté ce vendredi son rapport de quelque 164 pages. L'enquête avait été confiée par l'Abbaye au procureur du canton de Neuchâtel, Pierre Aubert, lequel s'est entouré du Département d'histoire contemporaine de l'Université de Fribourg.
Le rapport met en lumière une grande diversité des violences : des gestes ou paroles impliquant des sous-entendus sexuels, des attouchements répétés, des séances de photographies ambigües, des attitudes de séduction, des actes d'exhibitionnisme ou de la consommation d'images pédopornographiques. Il est aussi question d'agressions sexuelles, de viols, d'avortements forcés. À quoi s'ajoutent des formes d'abus spirituels et des sévices physiques. Le rapport fait état d'au moins 57 victimes, majoritairement des jeunes garçons – l'internat leur étant réservé. Au moins, 23 chanoines, 7 laïcs, 1 novice et 2 clercs en accueil ont été identifiés comme auteurs de violence.
Le Groupe de travail, qui a passé en revue les archives de l'Abbaye de Saint-Maurice sur un demi-siècle, a trouvé des faits qui n'avaient pas été révélés par la justice ordinaire. Entre les années 1970 et aujourd'hui, la justice a rendu cinq décisions de condamnation contre trois chanoines et un novice et a classé un plus grand nombre d'affaires, par insuffisance de charges ou en raison de la prescription. Le Groupe de travail n'a identifié aucun cas susceptible de tomber sous le coup de la loi qui n'ait déjà été jugé ou qui n'est prescrit.
L'omerta comme règle d'or
Le Groupe de travail a aussi étudié l'environnement socio-historique propre à l'Abbaye dans lequel s'inscrivent ces violences et leur traitement. Le rapport pointe du doigt le tabou qui entoure la sexualité des membres du clergé et des membres de l'Abbaye, en particulier sur la banalisation de la violence.
L'institution religieuse agaunoise a adopté une attitude plutôt défensive, préférant le règlement discret des affaires à l'interne, par exemple en minimisant les faits ou en déplaçant les auteurs. Le rapport constate par ailleurs que des membres de la communauté ont été maintenus dans leurs fonctions sans précautions particulières, alors que leur comportement avait suscité des plaintes, voire des mesures disciplinaires.
Le Groupe de travail a par ailleurs constaté un encadrement et un appui insuffisants des membres de la communauté. Ce climat a pu favoriser des comportements inadmissibles et répétés. Certains chanoines ont été mis en cause dans plusieurs affaires, voire condamnés, sans que l'institution ne prenne de dispositions.
L'Abbaye de Saint-Maurice réagit au rapport
L'Abbaye de Saint-Maurice se dit profondément bouleversée par les conclusions du rapport sur les abus sexuels perpétrés en son sein. Dans un communiqué, elle avoue ses fautes et demande pardon aux victimes. L'institution religieuse reconnaît l'existence d'une culture du silence et de la banalisation, qui affaibli la capacité d'écoute, le sens des responsabilités et la vigilance de la communauté. "L’Abbaye n’a pas su tenir compte de signaux qui dénotaient d’attitudes parfois gravement dysfonctionnelles, et ceci d’une manière répétée", peut-on lire dans le communiqué.
L'Abbaye informe par ailleurs qu'un plan d'action a été décidé par le Conseil abbatial. Il sera mis en œuvre par la Commission de conseil en gouvernance, composé de laïcs, de religieux spécialisés et de l'Abbé. Il s'articulera autour de cinq priorités : l'accueil des victimes, la refonte de la gouvernance, la prévention et la formation, le travail de mémoire et le dialogue avec la société civile. Un médiateur professionnel sera également nommé. Sa tâche sera similaire à celle d'une personne de confiance en entreprise et son rôle sera de soutenir les personnes confrontées à des problèmes avec la communauté des chanoines de Saint-Maurice. "Nous voulons que l’Abbaye ne soit plus un lieu d’ombre ou de silence. Le plan d’action que nous mettons en œuvre ouvrira les fenêtres, fera la vérité, et enracinera notre avenir dans la transparence et la responsabilité", a précisé le chanoine Antoine Salina.
Le plan d'action sera mis en œuvre d'ici à l'automne 2025.